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L’Afrique de l’Est doit saisir l’occasion du commerce dans un ordre mondial en mutation

Par Allen Asiimwe, Directeur général adjoint et Responsable des programmes, TradeMark Africa

Lors de la conférence GTR Afrique de l’Est 2025 qui s’est tenue cette année à Nairobi, j’ai participé à une table ronde opportune sur le thème “Croissance du commerce et investissements dans les infrastructures : L’opportunité pour l’Afrique de l’Est de prospérer dans le nouvel ordre mondial”. Cette conversation n’aurait pas pu avoir lieu à un moment plus critique. L’économie mondiale est en transition. Les hypothèses commerciales de longue date sont en train d’être redéfinies et les règles traditionnelles d’engagement sont en train de changer. Rien qu’en 2023, les pays du G20 ont introduit plus de 1 160 nouvelles restrictions commerciales (Global Trade Alert, 2023).

Les réglementations liées au climat redessinent l’accès aux marchés internationaux. L’aide publique au développement diminue et le financement multilatéral de la lutte contre le changement climatique reste incertain. Les régimes tarifaires sont de plus en plus fragmentés et politisés. Ces évolutions exigent de repenser fondamentalement la manière dont l’Afrique se positionne dans l’ordre économique mondial.

Pour l’Afrique de l’Est, cette remise à zéro mondiale n’est pas une menace, mais une opportunité catalytique de réimaginer le commerce. Selon les Nations unies pour le commerce et le développement, bien que la région ne contribue qu’à deux ou trois pour cent du commerce mondial, elle est exposée de manière disproportionnée aux chocs mondiaux. Des changements tarifaires aux impacts climatiques négatifs, l’Afrique de l’Est est confrontée à des vulnérabilités importantes. Toutefois, ces pressions incitent également la région à mettre en place des systèmes commerciaux plus résilients, plus souples et plus autonomes. L’Afrique doit maintenant agir de manière décisive. Le statu quo n’est plus tenable.

La numérisation et l’automatisation ont transformé le commerce mondial. Le durcissement des réglementations, l’évolution des modèles de financement et les impératifs climatiques ont rendu la durabilité et la conformité essentielles. Les réglementations de l’Union européenne sur les normes de travail, la déforestation et les émissions de carbone obligent les producteurs africains à atteindre de nouveaux seuils sous peine d’être exclus des principaux marchés mondiaux. Il ne s’agit plus de menaces futures, mais de réalités actuelles.

Dans ce contexte, les systèmes commerciaux intelligents et durables ne sont pas facultatifs. Ce sont des outils essentiels à la compétitivité et à la survie. La zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) est au cœur de cette transformation. Si elle est mise en œuvre dans la CAE, elle pourrait débloquer plus de 1,9 milliard de dollars d’échanges supplémentaires par an. La zone de libre-échange continentale africaine offre la possibilité de passer de marchés fragmentés à des corridors commerciaux coordonnés, et de l’exportation de produits bruts à une production à valeur ajoutée. Son protocole sur le commerce numérique pourrait modifier radicalement la trajectoire commerciale de l’Afrique en permettant la circulation sans heurts des biens, des services et des données. Accordez la priorité à sa ratification et à sa mise en œuvre.

La ratification et la mise en œuvre immédiates de ce protocole doivent être une priorité. Pour concrétiser cette vision, nous devons renforcer les fondements du commerce moderne : une logistique efficace, des systèmes numériques et une politique favorable. Au cours des 15 dernières années, TradeMark Africa, en partenariat avec les gouvernements, a soutenu la numérisation et l’automatisation des douanes, des normes et des agences frontalières.

Les guichets uniques aux frontières et le suivi automatisé des marchandises ont permis de réduire les délais de dédouanement de 70 % et les coûts commerciaux de 40 %. Ces améliorations aident les entreprises à accéder aux marchés, à réduire les pertes, à augmenter leurs revenus et à renforcer leur résilience. Nos interventions dans le domaine des infrastructures commerciales se sont concentrées sur des résultats concrets.

Des programmes tels que le Business Environment and Export Enhancement Programme (BEEEP) permettent aux négociants et aux régulateurs de se conformer aux normes internationales, y compris celles de l’Union européenne. Les plateformes numériques telles que le Trade Logistics Information Pipeline (TLIP) et le Trade Worldwide Information Network (TWIN) transforment la manière dont les données commerciales sont partagées, en offrant des échanges sécurisés, en temps réel et avec une précision vérifiable. Ces innovations favorisent l’efficacité, la prévisibilité et la confiance au sein de l’écosystème commercial.

Mais les systèmes commerciaux ne sont qu’une partie de la solution. Le commerce doit fonctionner pour les personnes. Des plateformes comme iSOKO relient plus de 100 000 petits commerçants, dont beaucoup de femmes, à de nouveaux marchés, renforçant leur confiance et réduisant leurs vulnérabilités.

Dans les pays enclavés comme la Zambie, les systèmes de paiement numérique rendent le commerce transfrontalier plus transparent et plus rentable, en particulier pour les entreprises informelles et les micro-entreprises. Ces interventions démantèlent les barrières qui ont longtemps exclu les groupes marginalisés du commerce formel.

La jeunesse du continent jouera un rôle central dans cette transition. Plus de 60 % de la population africaine a moins de 25 ans (Banque mondiale, 2023). Cette génération possède une culture numérique, est ambitieuse et évolue rapidement. Elle ne se contente pas de réagir aux changements mondiaux, elle en est le moteur. Leur adoption de l’IA, de l’analyse prédictive et des plateformes de commerce électronique pousse les institutions à se moderniser. Leur énergie et leur créativité façonnent de nouvelles réalités commerciales, et nous devons suivre leur rythme. Si nous n’y parvenons pas, nous risquons de mettre à l’écart le groupe démographique qui détient l’avantage concurrentiel de l’Afrique.

L’industrialisation devra également évoluer. Deux siècles après les révolutions industrielles en Europe, au Royaume-Uni et aux États-Unis, l’Afrique se trouve à l’aube d’un nouveau modèle vert, inclusif et tourné vers l’avenir. Trade Catalyst Africa, un véhicule de financement mixte de TradeMark Africa, contribue à financer cette vision.

Grâce à des investissements dans des parcs industriels verts, des transports intelligents face au climat et des centres logistiques intelligents, le continent démontre que la croissance économique et la durabilité environnementale ne s’excluent pas mutuellement. Ces interventions offrent des modèles évolutifs d’industrialisation qui donnent la priorité aux faibles émissions, à la création d’emplois et aux chaînes de valeur régionales.

D’autre part, les réformes politiques doivent s’aligner sur ces ambitions. Le protocole sur le commerce numérique de l’Union africaine doit être ratifié de toute urgence. Les barrières non tarifaires obsolètes et les politiques numériques restrictives doivent être supprimées. Les solutions commerciales qui imposent aux commerçants des coûts et des procédures inutiles doivent être réévaluées.

Les gouvernements doivent veiller à ce que les frontières fonctionnent comme des passerelles et non comme des points d’étranglement. Le leadership politique et une action politique coordonnée sont essentiels pour éliminer les goulets d’étranglement structurels et libérer le potentiel régional. L’Afrique de l’Est a déjà fait preuve de cette capacité grâce au territoire douanier unique et à l’expansion des programmes d’opérateurs économiques agréés. Il s’agit là de réussites reproductibles.

Leur transposition à plus grande échelle nécessite un engagement soutenu de la part des institutions publiques, des acteurs du secteur privé et des partenaires de développement. Nous devons nous concentrer sur ce qui fonctionne, construire ce qui manque et soutenir ce qui a un impact durable.